Lumières et explorations scientifiques
dans l’océan Pacifique

Le XVIIe siècle esquisse les contours de l’océan Pacifique alors que le XVIIIe siècle accomplit. La première moitié du XVIIe siècle connaît une inflexion, un essoufflement dans les voyages au Grand Océan. Les quelques voyages qui s’y déroulent sont essentiellement à caractère commercial. Il faut ajouter que ces entreprises restent le fait d’initiatives individuelles. Autour de 1750, des changements considérables apparaissent. Associée à l’Académie des sciences, l’Académie de Marine fondée en 1752 donne un nouveau souffle aux expéditions de découvertes. Parallèlement, les publications des Sociétés Savantes ont pour objectif d’attirer l’attention des souverains. C’est le cas des Histoires Naturelles de Buffon ou de la fameuse Histoire des navigations aux terres australes du président Charles de Brosses en 1756. Ce dernier suggérait même aux candidats navigateurs la constitution d’une équipe scientifique. Ainsi s’installe l’idée que les gouvernements doivent prendre en charge les expéditions de découvertes tant du point du vue de l’organisation que de celui du financement. Des instructions claires et précises sont définies dans lesquelles sont mentionnés le cadre dans lequel les officiers doivent opérer, les secteurs qu’il leur faut explorer ainsi que les renseignements qu’ils ont pour tâche de recueillir. Dans ce nouvel esprit, l’expédition de Bougainville voit le jour. Ce dernier rédige un mémoire sur la découverte des Terres Australes qu’il soumet au roi Louis XV. Les rivalités sont fortes entre l’Angleterre et la France. Cette dernière ne souhaite pas se faire devancer et organise donc un voyage de circumnavigation qu’elle confie à Louis-Antoine de Bougainville.

Deux missions lui sont confiées. La première prévoit la rétrocession des Malouines aux Espagnols. La seconde est de se rendre en Chine par le Pacifique, en passant par le détroit de Magellan ou le cap Horn, en vue de développer le commerce avec ce pays, puis de reconnaître des terres intéressantes entre les tropiques, en y laissant des actes de prise de possession propices à la fondation de colonies, destinées à pallier les pertes subies pendant la guerre de Sept ans. La recherche de plants d’épices pour l’île de France est aussi évoquée. Son voyage de 1766-1769, malgré de grosses lacunes organisationnelles, apporte des avancées significatives. Premièrement, Bougainville résout le problème du calcul de la longitude par la méthode astronomique (calcul qui faisait défaut à tous les voyages antérieurs) et, deuxièmement, il publie le récit de son voyage dès son retour. Cet aspect est important car il rompt avec le secret entretenu auparavant autour des voyages d’explorations. Dorénavant les connaissances acquises sont révélées au grand public et participent de la connaissance générale. Cependant ce voyage n’attire pas l’attention des savants et scientifiques de l’époque. Le mystère autour du continent austral reste entier. C’est au capitaine anglais James Cook qui l’on doit de mettre un terme définitif aux spéculations autour du mythe du continent austral. Les Anglais organisent et financent une expédition d’envergure dirigée par Cook. Une nouveauté apparaît alors. Des scientifiques de différentes spécialités font partie du voyage.

Les Français, pour rivaliser avec les Anglais, se doivent d’organiser une expédition ambitieuse. Un programme d’exploration voit le jour sous l’impulsion personnelle de Louis XVI. Au terme d’une minutieuse et intense préparation, à laquelle participe Bougainville, le commandement de l’expédition est confié à Jean-François de Lapérouse. Ce voyage s’inscrit dans la logique des voyages scientifiques. Un grand nombre de savants et de scientifiques des différentes branches de l’histoire naturelle, des cartographes, des astronomes prennent part au voyage. Les instructions prévoient de poursuivre les recherches en vue d’éventuelles nouvelles découvertes dans le Pacifique, d’approfondir la recherche en matière d’astronomie, de géographie, de navigation, mais aussi de rechercher les possibilités d’ouvrir cette région au commerce. Les domaines d’investigations sont variés et ambitieux. Malheureusement, cette expédition n’atteint pas les buts définis et se perd au large de Vanikoro dans l’archipel des Salomons.

Les expéditions de la seconde moitié du XVIIIe marquent une rupture par rapport aux voyages antérieurs. Les gouvernements prennent en charge les expéditions et des scientifiques participent activement aux voyages. La grande nouveauté qui apparaît durant cette période est la mise au point du calcul de la longitude. Longtemps l’estime fut la règle pour calculer sa position sur les océans. Au cours du XVIIIe siècle, deux techniques s’affrontent. La première permet de mesurer la longitude par une méthode astronomique. Elle fut utilisée, avec succès, par l’astronome Véron lors du voyage de Bougainville. La seconde méthode, quant à elle, nécessite l’invention et la mise au point de chronomètre précis et fiable. L’anglais John Harrison réussit, après plus de cinquante années de travaux, à construire l’instrument. Cook l’emporte lors de ses voyages et obtient des résultats remarquables en ce qui concerne la localisation des îles et archipels du Grand Océan. Systématiquement, les expéditions suivantes embarquent de tels chronomètres et comparent les résultats avec la méthode astronomique. Ainsi la prise en charge par les gouvernements des voyages d’explorations donne une impulsion majeure à la connaissance du Pacifique au XVIIIe siècle. La participation des scientifiques à ces voyages constitue aussi une rupture par rapport à la première moitié du siècle. Enfin, l’amélioration des moyens de navigation et la précision des cartes, rendue possible grâce au progrès des instruments de calcul, permet de voir émerger un continent nouveau au milieu de l’Océan Pacifique. L’exploration de l’Océanie se poursuit au cours du XIXe siècle avec une organisation et des objectifs différents.

C. Rocher

Bibliographie

Sources imprimées

  • BOUGAINVILLE Louis-Antoine de. Voyage autour du monde. Edition critique par BIDEAUX Michel et FAESSEL Sonia. Paris : Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2001, 503 p.
  • COOK James, Voyage dans l’hémisphère austral, et autour du monde, fait sur les vaisseaux du roi l’Aventure et la Resolution, en 1772, 1773, 1774, 1775 ; écrit par Jacques Cook, commandant de la Resolution ; dans lequel on a inséré la relation du capitaine Furneaux, et celle de M. M. Forster. Traduit de l’anglois par Suard. Six tomes. Paris : Hôtel de Thou, 1778, 6 t.
  • MILET-MUREAU Louis Antoine. Voyage de La Pérouse autour du monde. Paris : Imprimerie de la République, 1797, 4 t.
  • ROSSEL Elisabeth-Paul-Edouard de. Voyage de D’Entrecasteaux envoyé à la recherche de La Pérouse. Tome 1. Paris : Imprimerie Impériale, 1808, LVI-704 p.

Ouvrages généraux

  • BROSSES Charles de. Mythes et géographies des mers du Sud, études sous la direction de LEONI Sylviane, OUELLET Réal. Suivies de l’Histoire des navigations aux Terres australes de Charles de Brosses (1756). Dijon : Editions Universitaires de Dijon, 2006, 220 p.
  • DOUSSET-LEENHARDT Roselène, TAILLEMITE Etienne. Le grand livre du Pacifique. Lausanne : Edita, 1976, 299 p.
  • DUNMORE John (traduit par Georges PISIER). Les explorateurs français dans le Pacifique – XVIIIe siècle. Papeete : Les éditions du Pacifique, 1978, 379 p.
  • TAILLEMITE Etienne (dir.). Bougainville et ses compagnons autour du monde 1766-1769. Paris : Imprimerie Nationale, 1977, 2 t.