Les récits de voyages badins :
la parodie des récits de voyages

Publié en 1663, le Voyage de Chapelle et Bachaumont de Claude-Emmanuel Luillier, surnommé Chapelle, et François Le Coigneux de Bachaumont devient le texte fondateur d’un genre qui se développe au XVIIIe siècle avec des récits comme le Voyage de Languedoc et de Provence de Le Franc de Pompignan (1745), le Voyage de Paris à Saint-Cloud de Louis-Balthazar Néel (1748), suivi du Retour de Saint-Cloud à Paris par terre de Augustin-Martin Lottin (1753), le Voyage de Bourgogne d’Antoine de Bertin (1777), le Voyage à l’île Bourbon d’Evariste Parny (1777), ou La quête du blé (1786-1788) de Venance Dougados.

Voyageant en province, les auteurs parisiens évoquent avec humour l’exotisme des régions qu’ils traversent, avec une apparente liberté de l’itinéraire qui relève plus de la flânerie que d’un déplacement organisé. Si le voyage a un but, celui-ci n’est pas au premier plan du récit. Les voyageurs font l’impasse sur le principe d’authenticité documentaire et la peinture des lieux visités. La subjectivité du narrateur éclipse l’objectivité scientifique du voyageur. La réalité cède la place aux réflexions et impressions de l’auteur qui s’identifie à un héros épique engagé dans un périple où chaque situation affrontée devient une épreuve à surmonter. C’est ainsi que le modèle détourné s’avère être davantage l’épopée et le récit héroïque que le récit de voyage contemporain.

La parodie est renforcée par le ton burlesque, trivial ou héroï-comique, et le mélange étudié du vers et de la prose qui tiennent une place centrale dans le récit. Le voyage devient alors le prétexte à un exercice de style et de versification de la part des auteurs. Ils détournent les règles classiques du poétique et du prosaïsme pour un effet comique et divertissant, qui révèle leur talent.

Ces récits aux thèmes bachiques et libertins qui célèbrent l’esprit épicurien sont un divertissement mondain, destiné à un cercle d’amis aristocrates, parisiens et lettrés dont font partie les auteurs. Ecrits sur le ton léger et frivole de la plaisanterie, ils sont fondés sur une connivence sociale et culturelle qui rassemble autant qu’elle exclut. L’on ne badine qu’entre gens du même monde, aux dépens de ceux qui y sont étrangers, et la raillerie est alors d’autant plus amusante qu’elle n’est ni perçue ni comprise par les «ridicules provinciaux » qui en sont les victimes. Le récit de voyage badin fait partie d’une littérature de société, écrite par une élite pour une élite et disparaissant avec elle avec la Révolution.

Aurore Lestienne

Bibliographie

  • CHAMAYOU Anne. L’esprit de la lettre : XVIIIe siècle. Paris : PUF, 1999, 202 p.
  • LILTI Antoine. Le monde des salons : sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle. Paris : Fayard, 2005, 568 p.
  • RACAULT Jean-Michel. Voyages badins, burlesques et parodiques du XVIIIe siècle. Paris : Université de Saint-Etienne, 2005, 297 p.