Nommer la nouveauté :
Le baptême de la découverte dans les récits de voyages
au XVIIIe siècle

Animaux fabuleux et mœurs étranges sont nommés pour des lecteurs absents. Même si les lecteurs du XVIIIe siècle pouvaient compter sur les illustrations des récits de voyages pour se représenter les découvertes, le nom et la description qui l’accompagnent se chargent de transmettre l’image la plus juste de la découverte. Les voyageurs utilisent volontiers des mots-valises, fabriqués à partir de réalités connues du lecteur, parfois de termes indigènes, voire énumèrent simplement les différents noms existants, laissant au lecteur le choix de la désignation la plus pertinente.

Cependant, forger le nom approprié d’une découverte n’est pas un acte neutre et, au fil du siècle, la façon de nommer se modifie : le nom pertinent est tantôt celui qui rend le mieux compte de la nature fabuleuse et spectaculaire d’un animal, celui qui permet au marin d’identifier à coup sûr un lieu d’abordage, ou encore celui qui répond le mieux à une démarche rigoureuse d’observation de phénomènes nouveaux.

Si en 1728, pour le père Labat, nommer est l’occasion de rappeler les histoires qui entourent un animal, pour les explorateurs de la fin du siècle comme François Levaillant, c’est plutôt l’occasion d’établir des liens entre les phénomènes connus et inconnus, en se fondant sur leurs descriptions plutôt que sur les légendes qui leur sont associées. Pour le premier, le pélican est un « grand-gosier », que l’on dit capable d’avaler un homme entier, tandis que, pour le second, la caille d’Afrique ne possédant que trois doigts est mal-nommée au regard de la taxinomie naturaliste. La mise en scène des découvertes répond peu à peu à de nouveaux critères d’exactitude, d’exigence scientifique ou pratique. Le développement d’un regard scientifique, aidé d’instruments de mesure divers embarqués lors des expéditions, et l’attention portée par l’auteur aux attentes supposées du lecteur font du baptême des découvertes un symptôme des changements dans le regard porté sur le monde au XVIIIe siècle par ses découvreurs occidentaux.

Anne Cavarroc

Bibliographie

Corpus

  • LABAT Jean-Baptiste. Nouvelle relation de l’Afrique occidentale... Paris : G. Cavelier, 1728, 5 t.
  • LA CONDAMINE Charles Marie de. Relation abrégée d’un voyage fait dans l’intérieur de l’Amérique méridionale depuis la côte de la mer du Sud jusqu’aux côtes du Brésil et de la Guyane, en descendant la rivière des Amazones, lue à l’assemblée publique de l’Académie des sciences, le 28 avril 1745. Paris : Veuve Pissot, 1745, XVI-216 p.
  • BOUGAINVILLE Louis Antoine de. Voyage autour du monde par la frégate du Roi La Boudeuse et la flute l’Etoile en 1766, 1767, 1768, et 1769. Seconde édition augmentée. Paris : Saillant et Nyon, 1772, 2 t.
  • LE VAILLANT François. Voyage de M. Le Vaillant dans l’Intérieur de l’Afrique par Le Cap de Bonne Espérance, dans les années 1780, 81, 82, 83, 84 & 85. Lausanne : Mourer, Hignou & comp.,1790, 2 t.

Études

  • ARVEILLER Raymond. Contribution à l’étude des termes de voyage en français (1505-1722). Paris : éditions D’Artrey, 1963, 573 p.
  • BLAIS Hélène. Comment trouver le “ meilleur nom géographique ” ? Les voyageurs français et la question de la dénomination des îles océaniennes au XIXe siècle. L’espace géographique, 2001, n°4, vol. 30, p. 348-357.
  • BOURGUET Marie-Noëlle, LICOPPE Christian. Voyages, mesures et instruments. Une nouvelle expérience du monde au Siècle des Lumières. Annales. Histoire, Sciences sociales. 1997, n°5, vol. 52, p. 1115-1151.
  • FOUCAULT Michel. Les mots et les choses. Paris : Gallimard, 1966, 400 p. (Bibliothèque des sciences humaines).
  • FOURNEL Michel de. Légitimité et actes de langage. Actes de la recherche en sciences sociales, 1983, n°1, vol. 46, p. 31-38.
  • LICOPPE Christian. La formation de la pratique scientifique. Le discours de l’expérience en France et en Angleterre (1630-1820). Paris : La Découverte, 1996, 346 p.
  • LINON-CHIPON Sophie. Certificata loquor. Le rôle de l’anecdote dans les récits de voyage (1658-1722). In : ANTOINE P.
  • GOMEZ-GERAUD M-C. Roman et récit de voyage. Paris : Presses Sorbonne, 2001, p. 193-204.
  • MERLEAU-PONTY Maurice. La prose du monde. Paris : Gallimard, 1969, XVI-211 p.